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Lundi 6 juin – 9 h 45 – Cellule 119  

Pour patienter jusqu’à l’heure de la promenade, Marianne s’était plongée dans un roman tandis que sa codétenue avait pris son tour de « salle de bains ». Elle avait commandé un autre Steinbeck à la bibliothèque, après l’émotion sublime Des Souris et des Hommes. Elle attaquait les premiers chapitres avec avidité. Et, déjà, elle n’était plus en prison, voyageait quelque part À l’Est d’Éden...

Emmanuelle sortit du réduit avec sa serviette sur l’épaule, lui adressa un petit sourire. Marianne abandonna sa lecture et alluma une cigarette.

— Ça va Emma ?

— Oui...

La Fantôme avait regagné ses appartements du premier étage durant le week-end. Sa figure avait désenflé, le bleu des ecchymoses virait au violet, voire au jaune par endroits. Signe qu’elle retrouverait sous peu un visage humain. Édenté, certes, mais humain.

Depuis deux jours, elle se levait mais refusait toujours de quitter la cellule. La veille, Justine avait eu la gentillesse de l’emmener à la douche en dehors des horaires. Marianne avait profité de l’aubaine. Les dix douches pour elles toutes seules ! Elles avaient prolongé le plaisir jusqu’à se flétrir la peau sous l’eau chaude, la surveillante ayant malencontreusement oublié sa montre aux vestiaires. Marianne avait même aidé Emmanuelle à se rhabiller, tant elle était encore faible et gênée dans les moindres mouvements de la vie quotidienne. Devant la mine étonnée de Justine, elle avait marmonné que c’était pour gagner du temps.

Elle percevait un bouleversement intérieur, ne comprenait pas encore cette nouvelle Marianne. Des heures passées au chevet de sa codétenue, à la rassurer, à lui amener des verres d’eau ou le petit-déjeuner au lit. Elle lui avait même fait la lecture ! Elle s’explorait méthodiquement, cherchait les raisons de cette brusque métamorphose. Sa libération prochaine ? La tendresse d’un homme... ?

Ou, simplement, la présence calme d’Emmanuelle qui endurait son calvaire en silence ; ses regards qui jamais ne jugeaient ou n’enviaient. Qui semblaient avoir le pouvoir de tout pardonner.

Au début, elle avait eu peur. Peur de devenir faible. Mais finalement, elle aimait ce qu’elle était en train de devenir. Car en vérité, jamais elle ne s’était sentie si forte qu’aujourd’hui. Parvenir à partager son espace vital, à offrir plus que son corps à un homme. Arriver à donner était une puissance bien supérieure à la rage, la haine ou le pouvoir. Elle venait simplement de comprendre que la force ne se résumait pas à donner des coups ou à les encaisser en serrant les dents.

Emmanuelle s’était assise sur la chaise, un mouchoir mouillé sur son pied droit.

— Je sais pas ce que j’ai, ça me démange toujours autant ! Marianne écrasa sa cigarette. Emmanuelle s’était grattée jusqu’au sang.

— Faut pas entrer pieds nus dans la douche. Sinon, tu choperas sans cesse des saloperies... Il faut que t’ailles voir le toubib, il te filera une crème. Et il te faudrait des tongs.

— Justement, je voulais passer une petite commande sur le catalogue... Ma sœur m’a envoyé deux cents euros.

— Génial !

— Oui ! Surtout qu’elle n’a pas beaucoup d’argent... Elle m’a écrit aussi.

— C’est bien... Elle va venir te voir ?

— Non, je ne crois pas. Elle est très loin d’ici...

— Ah... Mais si elle pense à t’envoyer un peu d’argent de temps en temps, c’est déjà super.

— J’ai consulté le catalogue, c’est pas donné !

— C’est du vol manifeste, tu veux dire !

— Je vais me prendre une paire de tongs et quelques vêtements... Et puis j’aimerais me payer des produits aussi... J’ai vu que tu avais de la crème dépilatoire, je vais commander la même avant de ressembler au Yéti !

Elle se préoccupait encore de son apparence physique. Sa féminité survivait, quelque part en elle. C’était bon signe.

— Sers-toi, proposa Marianne.

— Tu plaisantes ! Je vais en acheter ! Et aussi du papier, des enveloppes et des timbres pour répondre à ma sœur. Peut-être que j’écrirai à Thomas...

— Tu as raison... Tu lui manques sans doute énormément.

— Je ne sais pas. Il doit se sentir si seul, à l’hôpital... Ils vont le transférer dans un foyer. Ma sœur va intervenir auprès du juge pour le récupérer mais... Sera-t-il d’accord ? Il pensera sûrement qu’elle n’a pas les moyens financiers de l’élever...

Elle cessa de parler, versa quelques larmes. Marianne lorgna par la fenêtre, le temps que l’averse se calme. Pour ne pas déranger sa pudeur.

— Tu veux que je te commande quelque chose ? reprit soudain Emmanuelle. Ça me ferait plaisir, je t’assure... Dis-moi ce qui te fait envie.

— Non. C’est ton fric, pas le mien. J’ai besoin de rien, t’inquiète pas.

— Ne te gêne pas...

— N’insiste pas ! Coupa un peu rudement Marianne.

— Bon, comme tu voudras... Tu as de l’argent ?

— Non.

— Ah... Comment tu fais pour les clopes, alors ?

Marianne lui décocha un petit sourire.

— J’ai un mandat de temps en temps, mais pas grand-chose...

— Tes parents ?

Marianne continua de sourire. Avant, elle l’aurait engueulée pour tant de curiosité. Mais là, ça ne la dérangeait pas. Ou presque.

— Je suis orpheline, depuis l’âge de trois ans.

— Oh mon Dieu ! Excuse-moi, je ne... Je ne savais pas... Je ne voulais pas...

— Pas de problème.

L’heure de la récréation sonnait. Marianne laça ses baskets et regarda sa colocataire.

— Tu viens prendre l’air ?

Emmanuelle se recroquevilla sur son matelas, complètement terrifiée à l’idée de quitter le cocon protecteur de la cellule. Pourtant, Marianne lui avait patiemment expliqué qu’un jour ou l’autre, elle serait obligée d’affronter à nouveau les autres détenues ; la promenade était un droit, elle ne devait pas y renoncer. Sinon, les brutes qui lui avaient cassé les dents auraient remporté une victoire totale. Facile à dire. Mais, franchir le pas...

— Non ! bredouilla-t-elle. Je suis fatiguée...

La porte s’ouvrit sur Monique Delbec.

— Promenade, mademoiselle de Gréville !

Marianne s’avança vers la sortie.

— À tout à l’heure, Emma !

Delbec mit la clef dans la serrure.

— Attendez ! hurla soudain Emmanuelle. Attendez-moi, je viens !

Monique soupira. Les ennuis pointaient à l’horizon. Emmanuelle rejoignit le troupeau dans le couloir, patienta aux côtés de Marianne.

Leurs corps se touchaient et Marianne perçut ses tremblements. Beaucoup de visages s’étaient tournés vers elle. Compatissants, curieux, ou hostiles.

— C’est très courageux ce que tu fais là, félicita Marianne. Vraiment très courageux.

— C’est toi qui as raison, répondit Emmanuelle en réprimant ses spasmes nerveux. Je ne pourrai pas rester cloîtrée éternellement... Et puis ça serait leur donner trop d’importance.

— Bien parlé, Emma ! Ne t’éloigne pas des matons, quand même... Surtout au retour.

Elles commencèrent à marcher vers la liberté, canalisées par Monique et la Marquise. Emmanuelle, encore plus livide que d’habitude sous le masque bleu des coups, épiait sans cesse autour d’elle. Elle avait peut-être présumé de ses forces. Enfin, elles arrivèrent dehors où un magnifique soleil les attendait. Marianne se posa sur la dernière marche, le Fantôme resta à proximité quelques instants, hésitant à se mêler à la foule ennemie.

— C’est bon, le soleil ! dit-elle en fermant les yeux.

— Ouais ! Acquiesça Marianne en allumant sa cigarette.

— En tout cas, merci... C’est grâce à toi que j’ai eu le courage de sortir à nouveau. J’aimerais bien être aussi forte que toi mais...

— Arrête tes conneries ! Profite plutôt du beau temps !

Emmanuelle s’éloigna un peu sous le regard gluant de Delbec qui suivait chacun de ses pas. Daniel ne tarda pas à apparaître. Il resta stupéfait d’apercevoir madame Aubergé dans la cour.

— J’arrive pas à y croire !

— Gardez un œil sur elle quand on remonte, suggéra Marianne.

— Tu veux m’apprendre mon boulot ? répliqua le chef en souriant.

— Ben la dernière fois, vous avez brillé par votre absence !

— Il y a eu un problème de coordination, la dernière fois... Tu penses que Giovanna va tenter quelque chose aujourd’hui ?

— Je ne crois pas, non... Mais on sait jamais avec ces bêtes-là...

— Et toi ? Comment ça va ?

Elle écrasa sa cigarette et se leva.

— Très bien !

Elle partit en petites foulées pour son footing matinal. Elle avait resserré le bandage autour de son genou, ça devrait tenir. Tant pis pour la douleur. Elle passa près de VM qui attaquait une série d’abdominaux, lui adressa un signe amical de la main. Elle frôla l’Hyène, affalée par terre, et lui cracha un rictus méprisant à la figure. Au bout de quelques minutes, elle ne vit plus personne, n’entendit même plus le brouhaha ambiant. Concentrée sur sa propre respiration, sur les battements réguliers de son cœur, les mouvements souples de chacun de ses muscles. Elle devait se préparer physiquement, redevenir la combattante parfaite qu’elle avait été. Elle en aurait besoin pour échapper à ces flics, pour réussir sa cavale. Il faudrait peut-être se battre, courir jusqu’à en perdre haleine. Rester des jours sans manger ou sans boire. Elle accéléra sa course, nettoya toute la crasse qui alourdissait son organisme. Décidée à ignorer les SOS lancés par sa jambe.

Mais son pied heurta soudain un obstacle, son genou céda et elle trébucha, embrassant le bitume avec violence. Giovanna venait de tendre sa jambe, au moment opportun.

Marianne, dans un cri de douleur, saisit son genou entre les mains. Il s’était à nouveau plié dans le mauvais sens ; intolérable souffrance.

Les surveillantes ne bougèrent pas d’un centimètre. Une détenue venait de tomber, ce n’était pas dans leurs attributions d’aller la ramasser. Quant à Daniel, il avait quitté la cour.

Marianne essaya de se relever mais la douleur faisait danser des étoiles multicolores devant ses yeux, lui avait propulsé l’estomac au bord des lèvres. Giovanna et ses fidèles acolytes la contemplaient avec satisfaction.

— Oh ! Pardon Gréville ! Ricana l’Hyène. Fais gaffe où tu mets les pieds !

Elles éclatèrent toutes de rire. Marianne rêvait de lui sauter à la gorge mais, pour le moment, elle tentait juste de se remettre debout. Elle rechuta une nouvelle fois, crut qu’elle allait vomir.

Allez, Marianne ! Debout, nom de Dieu !

Emmanuelle se rongeait les sangs, impuissante. Elle aurait voulu l’aider, sauf que ses jambes refusaient de la conduire à moins d’un mètre de Giovanna qui se délectait encore du spectacle.

Pourtant, Marianne vit une main se tendre. Elle l’empoigna, fut soulevée du sol et trouva une épaule sur laquelle prendre appui. VM était venue à sa rescousse. Un drôle de silence s’était abattu sur la cour. Giovanna avait ravalé son sourire face à cette solidarité imprévue. Elle préféra ne pas intervenir, ne voulant pas risquer l’affrontement avec la plus redoutable détenue de toutes les prisons françaises. Marianne reprenait doucement ses esprits, soutenue par une sorte de pilier humain. VM décida de s’éloigner, la blessée accrochée à elle, marchant à cloche-pied, gémissant à chaque pas. Elles s’arrêtèrent devant le banc où devisaient quatre filles.

VM leur adressa un simple regard qui les décida sur-le-champ à céder la place. Marianne put enfin s’asseoir.

— Merci...

— Tu t’es retordu le genou ?

— Ouais ! Putain, ça fait un mal de chien !

La souffrance lui déformait encore la voix. VM lui offrit sa bouteille d’eau. Elles se grillèrent une roulée.

La douleur s’apaisait lentement. La haine la remplaçait lentement. Marianne fixait Giovanna avec du meurtre plein les yeux.

— Calme-toi, conseilla VM.

— Je vais la tuer, cette pourriture !

— Calme-toi, j’te dis ! Elle n’attend que ça ! Que tu te jettes sur elle... Tu es seule, elles sont dix. Les matonnes n’interviendront pas dans une baston générale. Le temps que les renforts arrivent, elles auront eu le temps de te transformer en bouillie...

— Je sais tout ça ! Mais je peux me faire les dix !

— Sur une seule jambe ? Douta VM avec une mimique moqueuse. Vas-y, j’ai hâte de voir ça !

VM avait raison. La simple présence des gardiennes était censée éviter les heurts entre détenues. Mais quand ce n’était pas le cas, l’issue d’une bagarre pouvait s’avérer mortelle. Les surveillantes avaient pour consigne de ne pas intervenir pour ne pas risquer de se prendre des coups. Elles devaient juste prévenir les renforts qui mettaient en général dix minutes pour se pointer.

— OK, je me la ferai à un meilleur moment ! conclut Marianne. Emmanuelle les rejoignit.

— Je voulais venir t’aider mais...

— Vous avez bien fait de ne pas vous approcher, assura VM.

— Ouais, t’as bien fait ! Souffla Marianne en massant sa rotule. Mais elle perd rien pour attendre, cette charogne ! Delbec s’approcha enfin.

— Voulez-vous être conduite à l’infirmerie, mademoiselle ?

— Non, pas la peine ! C’est tout à l’heure que j’avais besoin d’aide !

Monique repartit en haussant les épaules. Daniel refit alors son apparition. En voyant Marianne à moitié allongée sur le banc, il devina qu’un incident s’était produit durant son absence. Il s’informa auprès de Monique puis fonça droit vers Giovanna qui l’accueillit avec un sourire innocent.

— Oh ! Bonjour, chef !

— T’es contente de toi, j’espère ? Balança-t-il d’une voix dure.

— Je ne vois pas de quoi vous parlez, monsieur...

— Marianne ne t’a rien fait, que je sache !

— Ah ! Vous voulez parler d’elle ! Mais j’y suis pour rien, moi ! J’avais la jambe étendue, elle s’est embronchée dedans... Je crois qu’elle devrait cantiner des lunettes !

La meute s’esclaffa. Daniel empoigna Giovanna par le bras pour la remettre debout.

— Tu arrêtes de te foutre de ma gueule, compris ?

— Vous énervez pas monsieur ! Qu’est-ce qui se passe ?

— Y se passe que j’aime pas tes manières !

— Faut pas vous mettre dans cet état ! Je sais bien que Gréville est votre petite protégée, mais quand même !

— J’ai pas de petite protégée, ici. Mais toi, tu commences sérieusement à me les briser !

— Désolée, chef ! Je vous jure que je voulais pas estropier votre petite chouchoute !

— Un jour, je te ferai payer toutes tes saloperies ! murmura-t-il.

— Oh oui, chef ! Riposta Giovanna avec une provocation indécente. Allez-y, faites-moi mal ! Si c’est vous, je suis sûre que je vais adorer ça !

Les filles riaient de plus belle mais Daniel ne se laissa pas décontenancer.

— Quand je m’occuperai de toi, ça m’étonnerait beaucoup que tu aimes ça.

Giovanna continua à le narguer. Il tourna les talons, rongea son frein. Il se sentait tellement impuissant face à cette ordure ! Avec elle, il marchait sur des œufs. Au moindre faux pas, il se retrouverait avec son armée d’avocats sur le dos. Pire encore ; s’il la malmenait, il mettait sa vie, celle de ses proches et de ses surveillantes en danger. Elle avait des soutiens sans faille, à l’extérieur. Intouchable, l’Hyène ! Ou presque. Il avait réussi à la faire descendre au cachot deux ou trois fois, lui avait même collé une beigne, une fois. Trois jours plus tard, un joli petit cercueil avait été déposé dans sa boîte aux lettres. Avec le prénom de sa fille en guise d’épitaphe.

Il fit un détour par le banc pour prendre des nouvelles de Marianne.

— Pourquoi vous êtes allé la voir ? Feula Marianne. Je peux régler ça toute seule ! Pas besoin de votre aide, chef !

— On n’est pas à OK Corral ici ! Alors tu te tiens tranquille, compris ?

— Bien sûr ! Je vais laisser cette pourriture me fracasser la jambe sans réagir !

— Tu te calmes, Marianne ! s’écria-t-il. Sinon, je te fous au cachot ! C’est clair ?

Il avait mauvaise conscience mais pas d’autre choix. Cette rivalité entre deux filles particulièrement hargneuses allait mal se terminer. Marianne cessa de le défier, se renfrognant sur son banc. Daniel consulta sa montre, adressa un signe à Delbec. C’était l’heure de remonter.

— Tu peux marcher ? S’inquiéta-t-il. Tu veux que je t’aide ?

— C’est bon ! J’ai pas besoin de vous !

Il renonça. VM la soutint jusqu’à l’entrée du bâtiment. Là, Marianne lâcha le bras de son alliée.

— Je vais me débrouiller, maintenant. Merci encore...

VM n’insista pas et se fondit dans la foule. Marianne boitait, chaque pas lui arrachait une souffrance atroce. Elle refusa l’aide d’Emmanuelle, celles du chef ou de VM. Ne pas donner ce plaisir à Giovanna. Les couloirs, les grilles qui s’ouvrent devant elles, se ferment juste derrière. Et puis, le grand escalier. Marianne s’agrippa à la rampe, ralentit le rythme. Dire qu’il y avait plusieurs dizaines de marches ! Elle se faisait bousculer, dépasser par le flot humain. Bientôt, elle perdit Emmanuelle du regard, partie devant, emportée malgré elle par la vague.

Brusquement, Marianne entendit des cris, discerna un attroupement derrière elle, en bas. Une bagarre venait d’éclater. Elle croisa Daniel qui dévalait les marches en courant pour aller seconder Monique à l’arrière du front. La Marquise descendit à son tour, filant au passage une méchante secousse à Marianne. Elle reprit son éprouvante ascension, le cœur fatigué. L’articulation menaçait d’exploser dans le bandage.

Elle leva la tête pour évaluer la distance qu’il lui restait à souffrir.

En haut, la meute encerclait quelqu’un. Marianne devina instantanément que la rixe n’était qu’une diversion destinée à éloigner les matons. C’était là-haut que les choses sérieuses se passaient. Emmanuelle !

Marianne, soudain portée par une incroyable énergie, en oublia presque la douleur. Sur ses deux pieds, elle avala les marches les unes après les autres avec le courage d’un soldat partant au combat. Le tabassage avait sans doute commencé, elle arriverait peut-être trop tard.

D’ailleurs, pourquoi y allait-elle ?

Parvenue à destination, elle fendit le cercle des témoins à grands coups d’épaule. Deux filles tenaient Emmanuelle, chacune par un bras, l’une d’elles la bâillonnant avec sa main. Giovanna était en train de lacérer ses vêtements avec une lame. Elle lui avait déjà fait une estafilade sur la poitrine.

— Lâche-la ! Rugit Marianne.

Giovanna, surprise, se retourna.

— Tiens ! Le canard boiteux ! Occupez-vous d’elle, les filles...

Une des hyènes tenta sa chance. Marianne lui colla une beigne, elle s’écroula sur place. Les autres hésitèrent alors à intervenir. Giovanna abandonna donc son jouet terrorisé pour s’occuper elle-même de l’intruse. Les spectatrices s’écartèrent pour laisser place au combat des lionnes.

— Tu veux te battre ? proposa Marianne.

— Avec une infirme ?

— L’infirme va te faire bouffer tes dents !

— Tu devrais pas te mêler de ça, Gréville... Si tu prends sa défense, tu deviens mon ennemie. Et mes ennemis vivent pas longtemps, en général !

— On est déjà ennemies... Alors arrête de parler et amène-toi ! Qu’on en finisse !

Giovanna passa son couteau à l’une de ses complices.

— Pas besoin de ça, je vais t’écraser à mains nues...

— T’as fini de causer ? Je t’attends...

L’Hyène tournait autour d’elle, rapace prêt à fondre sur sa proie. Marianne peinait à suivre le mouvement, handicapée par sa jambe de bois. Aujourd’hui, elle ne disposait que de ses poings et manquerait cruellement d’équilibre. Soudain, sa rivale passa à l’attaque et décocha un coup de pied dans l’articulation blessée de Marianne qui s’effondra en hurlant.

Un genou à terre. La douleur qui l’empêchait de respirer. Mauvais début. Giovanna en profita pour lui asséner une droite dans la tête. Cette fois, elle atterrit sur le sol ; sonnée, vulnérable. L’Hyène sauta alors de tout son poids sur son genou, Marianne s’étrangla de douleur. Cracha une coulée de sang. Elle allait recevoir son talon en pleine figure mais eut le réflexe de lui saisir la cheville pour la faire basculer à son tour. Elle se releva aussi vite que possible, se retrouva de nouveau face à l’adversaire.

Mais qu’est-ce qu’ils foutent les matons ? Elle entendait encore les clameurs en bas de l’escalier, les insultes. La chaleur du sang sur son visage ; liquide brûlant qui piquait les yeux ; sa jambe gauche qui refusait de se poser par terre... Pour la première fois, elle se sentait en danger pendant un combat. Elle comprit qu’elle allait perdre. Que la défaite était au rendez-vous. La mort, peut-être.

Elle repensa alors à son évasion prochaine. Elle ne vivrait sans doute pas assez longtemps pour goûter la liberté. Assassinée par Giovanna. Mais pourquoi t’es pas restée tranquille, putain ? !

Elle serra les dents. Au moment où Giovanna lui assénait une gauche dans l’estomac. Une autre dans la mâchoire. Elle riposta désespérément, l’ennemie recula. Mais sa jambe lâcha ; un genou à terre, encore. Jamais elle n’y arriverait. Au-dessus de ses forces.

Entre ses cils perlés de sang, comme au travers d’un rideau rouge, elle devina le sourire triomphant de Giovanna.

— C’est fini, Gréville !

Marianne, incapable de bouger, attendait juste le coup de grâce. Une peur inédite lui noua les tripes. J’aurais pu être libre. Dans quelques jours. Supplier ? L’idée lui traversa l’esprit. Déjà prosternée, il lui suffisait d’implorer la pitié du vainqueur. Ça marcherait, peut-être. Mais les mots refusaient de sortir.

Soudain, une voix familière résonna tout près d’elle.

— Si tu la touches encore, tu es morte.

L’Hyène rangea son air victorieux pour affronter VM.

— Te mêle pas de ça ! Essaya-t-elle.

— Je n’en ai pas envie. Mais si tu t’approches encore de mon amie, je serai obligée de m’en mêler...

Giovanna avala bruyamment sa salive. Battre en retraite face à une détenue, même VM, marquerait le début de son déclin. Marianne, toujours effondrée contre la rambarde de la coursive, réalisa subitement que cette voix n’était pas un rêve. Elle parvint à garder les paupières ouvertes pour assister à un étrange ballet. Giovanna tourbillonnait autour de sa nouvelle antagoniste, cherchant la façon d’en venir à bout. VM demeurait parfaitement immobile. Seuls ses yeux forgés dans l’acier suivaient la danse adverse. L’Hyène se lança soudain à l’assaut. VM stoppa son bras avec une facilité déconcertante avant de la saisir par la gorge de l’autre main et de la décoller du sol comme une brindille de paille. Une brindille de soixante-quinze kilos, qui s’étranglait lentement, dont les jambes pédalaient dans le vide. VM envoya alors son pantin s’écraser contre un mur.

— Tu veux continuer ?

Giovanna n’eut pas le temps de dire non. Un cri venait de retentir.

— Matons !

Les filles se dispersèrent, comme une volée de moineaux. VM retourna dans l’ombre tandis que les hyènes prenaient la fuite en soutenant Giovanna. Marianne dégoulina doucement le long du garde-corps, jusqu’à sentir le carrelage froid sur sa joue. Le visage de Daniel apparut alors, deuxième miracle qui se penchait sur elle.

— Marianne ! Tu m’entends ?

Monique s’occupa d’Emmanuelle tandis que Solange écrouait les détenues en gueulant comme un putois courroucé. Marianne regagna sa cellule dans les bras de Daniel. Il la déposa sur son lit, passa de l’eau sur son visage tuméfié.

— Appelez le toubib, s’il vous plaît, ordonna-t-il à Monique. Vite !

La gardienne abandonna Emmanuelle, en larmes sur une chaise.

— Marianne, tu m’entends ? Essaya-t-il à nouveau.

Elle cligna des yeux. Il se tourna vers sa codétenue. Les vêtements complètement déchiquetés, elle appuyait ses deux mains sur la blessure, longue entaille lui déchirant la peau de l’épaule jusqu’à la naissance des seins.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Elles... Elles m’ont attaquée et... Et... Ma... Marianne a voulu me dé... défendre... Et elle s’est battue avec Gio... vanna... Mais elle tombait tout le temps à... à cause de sa jambe et...

Ses sanglots finirent par lui couper la parole.

— Calmez-vous, le médecin va s’occuper de vous...

— Elle... Elle va mourir ?

— Mais non ! Elle est solide !

Il la dévisageait avec inquiétude. Marianne saignait du nez, de la bouche. À mille lieues d’ici. Elle gémissait doucement à intervalles réguliers. Le toubib arriva enfin, une jeune femme, une nouvelle. Asphyxiée par sa course dans les couloirs, un peu dépassée par les événements. Elle commença par ausculter Emmanuelle.

— Il faudrait l’emmener à l’infirmerie. Elle a besoin de points de suture.

— Monique, vous vous en chargez !

Delbec escorta Emmanuelle tandis que la doctoresse s’intéressait à Marianne. Elle lui nettoya le visage à l’aide d’une compresse désinfectante, lui colla un pansement sur le front, vérifia sa tension, son pouls. Daniel lui indiqua qu’elle souffrait de la jambe. La jeune femme lui enleva donc son jean mais lorsqu’elle voulut défaire le bandage, Marianne se rebiffa sous les assauts de la douleur, hurlant et gigotant dans tous les sens. Le médecin insista, sans prendre de gants. Gestes un peu brutaux et maladroits. Marianne la repoussa violemment, l’envoyant au tapis.

— Elle est folle ! S’insurgea la toubib en se relevant. Si c’est ça, je m’en vais !

— Restez ! ordonna Daniel en attrapant les poignets de la patiente récalcitrante. Toi, tu te calmes ! Elle veut t’aider, OK ?

— Elle est en train de me massacrer ! S’égosilla Marianne.

— Elle ne t’a rien fait ! Tiens-toi tranquille !

Le médecin accepta finalement de reprendre sa tâche. Le genou avait triplé de volume.

Elle passa une pommade dessus, ce qui déclencha de nouveaux hurlements.

— Il faudra une radio... Quand elle sera moins nerveuse ! Elle refit un bandage puis Marianne eut droit à une injection. Calmants ? Antidouleurs ?

— Voilà, je ne peux rien faire de plus pour l’instant. La piqûre devrait la soulager. Il faut que j’aille m’occuper de l’autre, maintenant... Il faudra l’emmener à la radio cet après-midi.

— OK, merci docteur.

La toubib quitta la cellule, Daniel s’attarda un moment auprès de Marianne.

— Ça va mieux ?

Elle fit non de la tête. Il sourit et lui alluma une cigarette.

— Tiens... C’est bien que tu aies pris la défense de madame Aubergé.

— Rien à foutre d’elle ! J’ai voulu faire la peau à l’autre salope ! Mais à cause de ma jambe, je me suis pris la rouste de ma vie ! Tu me prends pour Mère Teresa ou quoi ? !

Visiblement, elle reprenait des forces.

— Non ! dit-il en riant. Tu n’as rien d’une bonne sœur... Ces pourritures nous ont eus en beauté ! Il y a eu une bagarre à l’arrière, on a foncé tête baissée... Imparable ! Heureusement que tu étais là.

Elle souffla bruyamment.

— Arrête avec ça ! J’t’ai dit que je voulais juste...

— Je sais ! fit-il avec un sourire tendre. Tu voulais juste te battre avec Giovanna. Et comme tu es maso, tu as choisi le jour où tu en étais incapable !

Elle leva les yeux au ciel.

— Repose-toi, dit-il en embrassant sa main.

Il se dirigea vers la porte.

— Et ce soir ? Tu... Tu viendras ?

— Je crois pas que tu seras en état.

— J’ai plus de clopes !

— On verra. Repose-toi maintenant. 

*** 

Marianne s’arrêta un moment pour ménager sa jambe. Elle remontait de l’infirmerie. La radio avait livré son verdict, double entorse, rien de cassé. Mais Giovanna lui avait tout de même déboîté le genou en la piétinant sauvagement. Le médecin tenterait de le remettre en place une fois la douleur apaisée.

Aucun brancard n’étant disponible, Marianne accomplissait son pèlerinage à pied, escortée par la Marquise. Il y a des jours où tout va de travers.

— Bon, j’ai pas que ça à faire, de Gréville ! Tu te magnes un peu ou quoi ?

— C’est GRÉVILLE ! rétorqua-t-elle en desserrant tout juste les dents.

Nouvelle halte en bas du gigantesque escalier. Le plus dur restait à faire. Solange commença à monter les marches deux à deux. En sifflotant. Marianne s’accrocha à la rampe, rêvant soudain d’ascenseur.

— Allez, de Gréville ! Bouge ton gros cul !

Marianne fermait les yeux à chaque fois que son pied gauche effleurait le sol.

— C’est Gréville ! répliqua-t-elle machinalement. Et mon cul fait la moitié du tien !

Solange se retourna pour profiter de cette vision enchanteresse.

— On dirait que t’as trouvé plus forte que toi, de Gréville !

— On trouve toujours plus fort que soi...

— Pas faux ! En tout cas, je pense que tu la ramèneras moins, maintenant que tu t’es pris une bonne correction !

Arrivée à sa hauteur, Marianne reprit son souffle, se contentant de paraître indifférente.

Pourquoi tant de haine ? Certes, j’ai tenté une fois de la tuer, mais... Elle me détestait déjà avant cet épisode. Alors qu’est-ce qui la motive ? Elle est jalouse, pour Daniel et moi... Ou c’est peut-être simplement sa nature. Un truc génétique, en quelque sorte...

Interrompant sa méditation solitaire, Solange brandit soudain une paire de menottes. Marianne écarquilla les yeux. La gardienne attacha son poignet droit et saisit l’autre bracelet à pleines mains.

— Qu’est-ce que tu fous ?

— J’en ai marre de t’attendre ! J’ai pas que ça à faire !

Elle se pencha en avant pour rapprocher son visage du sien.

— Les chiennes, faut les mettre en laisse...

Avec l’énergie d’un remorqueur, la Marquise tracta Marianne qui trébucha aussitôt. Cette carne avait de la force, celle de la sauvagerie, sans doute.

— Allez, on se lève !

— Arrête, putain !

Solange tirait à pleine puissance, elle n’allait pas tarder à lui démettre l’épaule. Une articulation déboîtée, c’était déjà assez dur comme ça. Alors Marianne se releva, tenta de la suivre. Mais un à-coup brutal la fit chuter une nouvelle fois.

— Arrête ! T’es malade !

— Debout ! Avance !

Un cauchemar. La suite logique d’une journée de merde. Marianne se releva encore, la Marquise recommença son manège pour la faire tomber. Son menton heurta le métal violemment, elle crut se briser la mâchoire. Levant les yeux, elle aperçut une silhouette en haut des escaliers, dans le dos de la surveillante. Une silhouette immense. Son calvaire terminé, elle ne bougea plus.

— Allez, relève-toi !

— Ça suffit ! hurla Daniel en dévalant les marches.

Solange se retourna, tirant une nouvelle fois sur l’épaule de sa prisonnière.

— Détache-la ! ordonna le chef.

Solange s’exécuta. Daniel aida Marianne à se remettre debout.

— Tu peux m’expliquer ce que tu fabriquais, Pariotti ?

— Je l’aidais à monter ! Osa la Marquise avec un sourire de gamine arrogante.

— Dégage !

— Vous êtes du côté des détenues, maintenant, chef ?

— Je t’ai dit de disparaître ! Je vais te coller un rapport carabiné ! Ça va te coûter cher !

— Ça, ça m’étonnerait ! rétorqua Solange en s’éloignant. Ça m’étonnerait beaucoup !

Il se tourna vers Marianne, accrochée à la rampe.

— Ça va ?

Elle hocha la tête, reprit son chemin de croix. Daniel décida d’écourter son calvaire en la portant jusqu’à la cellule. Elle passa ses bras autour de son cou puissant, cala sa tête sur son épaule, ferma les yeux. Encore un voyage en première classe. Il la déposa devant la porte puis récupéra ses clefs.

— Désolé pour tout à l’heure, mais j’étais occupé quand le radiologue t’a fait venir.

— Pas grave... Maintenant, j’ai l’épaule en ruine, en plus du genou... Merci de m’avoir portée, chef.

— Ce fut un plaisir !

— Tu vas vraiment faire un rapport contre Pariotti ?

— J’vais me gêner !

Emmanuelle, extirpée de sa sieste, quitta son promontoire pour venir en aide à sa protectrice. Elle l’escorta jusqu’au lit tandis que le chef refermait la porte.

— Tu veux bien me donner mon paquet de clopes ? Emmanuelle portait un énorme pansement sur l’épaule. Elle était dans un triste état.

— Rien de cassé ? S’enquit-elle en posant les cigarettes à côté de Marianne.

— Non.

— Tant mieux... Tout ça, c’est de ma faute !

— Arrête ! C’est pas toi qui m’as bousillé le genou, non ?

— C’est pour moi que tu t’es battue... Si VM n’était pas intervenue, tu serais peut-être morte à l’heure qu’il est !

Marianne sentit son cœur se serrer. L’aide de sa nouvelle amie lui procurait une douce sensation de chaleur, un truc inédit. Mais en même temps, sa réputation en avait pris un sacré coup. Elle n’avait plus d’autre choix que de combattre à nouveau Giovanna. Et de gagner, cette fois.

Elle alluma sa cigarette, ferma les paupières. Elle réagissait encore comme une taularde. Quelle importance pouvait bien avoir sa réputation désormais ? Dans quelques jours, elle serait libre. Oublierait cet enfer. Elle rouvrit les yeux sur une certitude effrayante. Non, jamais elle n’oublierait. Il y aurait toujours une partie d’elle qui demeurerait ici. En fuyant, elle laisserait des morceaux de chair accrochés aux barbelés. Elle contempla le visage tuméfié de sa codétenue. Emmanuelle resterait là, elle. Pendant de longues années, sans doute. Dix, minimum. Elle devait accomplir une dernière chose pour elle avant de déserter ces lieux. Mettre Giovanna hors d’état de nuire. Sans se faire prendre, bien sûr. La tâche serait difficile. Mais elle y arriverait. Elle était motivée.

— Le gradé m’a demandé si je voulais témoigner contre Giovanna, raconta soudain Emmanuelle. Ils n’ont rien vu alors... Mais j’ai trop la trouille... Déjà qu’elle me déteste, alors que je lui ai rien fait... Si je parle... Et toi ?

— Moi, il ne m’a même pas posé la question ! J’aimerais que tu n’ébruites pas ce qui s’est passé ce matin, ajouta Marianne. Que je suis venue à ton secours...

— Pourquoi ? Au contraire, je trouve que...

— Écoute, ici, c’est une mentalité un peu particulière... Prendre la défense d’une détenue, ce n’est pas vraiment bien vu.

— Surtout une détenue telle que moi, hein ? Une tueuse d’enfants ! précisa Emmanuelle d’une voix tremblante.

Marianne ne répondit pas. Inutile de la faire souffrir davantage.

— Je te demande juste de ne pas raconter à tout le monde que je suis venue t’aider...

— Je ne parle à personne d’autre qu’à toi ! rétorqua sèchement Emmanuelle. Tout le monde m’évite. À qui veux-tu que j’aille le raconter ? De toute façon, Giovanna s’en chargera à ma place !

Elle avait raison. Marianne soupira face à l’évidence. Sa réputation avait vraiment du plomb dans l’aile ! La fin de son séjour s’annonçait difficile, Emmanuelle faisait machinalement le tour du réduit.

— Viens près de moi, murmura Marianne.

Après une courte hésitation, le Fantôme reprit sa place au chevet. Marianne lui écrasa chaleureusement les doigts.

— Tu sais, Emma... Je ne voulais pas te blesser... C’est juste que... Je suis un peu à part, ici. Si je montre le moindre signe de faiblesse, je risque de mourir. Je suis un peu la fille à abattre, tu piges ?

— C’est parce que tu sais te bagarrer ?

— Oui. Et parce que j’ai une réputation de dure à cuire ! C’est à cause de ce que j’ai fait, aussi...

— Pourquoi t’es là ? Questionna Emmanuelle. Pourquoi t’ont-ils condamnée si lourdement ?

Marianne fixa le sommier du dessus. Elle serra encore plus fort la main du Fantôme.

— Pour meurtres.

— Tu as tué quelqu’un ? !

— Triple meurtre.

Emmanuelle eut l’impression d’un coup de gourdin qui s’abattait sur son crâne.

— Un vieux à qui je voulais piquer du blé... Un flic qui me braquait avec son flingue et une détenue en centrale. J’ai blessé un autre flic, aussi. Une femme. Elle est en fauteuil roulant, maintenant. Et puis... Et puis j’ai démoli une gardienne. Je l’ai défigurée, je lui ai brisé les vertèbres cervicales. Elle aussi, elle est restée handicapée.

Emmanuelle lâcha sa main. Comme si elle se brûlait aux flammes de l’enfer.

— Tu vois, Emma... Je suis un monstre. Rien qu’un monstre.

— Non... C’est faux. Je crois que... Que tu as mal et que tu n’as trouvé personne pour comprendre ta douleur. Je crois que tu as dû affronter des choses trop dures, trop longtemps. Ou trop tôt. Je crois que personne n’a su t’aimer à temps...

Marianne tourna la tête vers le mur. Pour cacher les larmes qui tentaient de s’échapper.

— Tu n’es pas un monstre, sinon, tu aurais laissé Giovanna m’ouvrir le ventre.

Marianne la regarda soudain droit dans les yeux.

— Elle ne te touchera plus jamais ! Je la tuerai pour toi... Panique sur le visage du Fantôme.

— Non ! Tu ne dois plus tuer, Marianne ! Je ne veux pas que tu fasses ça pour moi !

— Alors je la tuerai pour moi ! Gémit Marianne avec hargne. Mon genou est foutu, jamais je ne remarcherai normalement ! Je boiterai toute ma vie ! Et elle me le paiera !

— Calme-toi ! Implora Emmanuelle en caressant son front fiévreux. Calme-toi, je t’en prie. Tu es forte, tu remarcheras normalement, j’en suis certaine... Et je n’irai plus en promenade, comme ça Giovanna ne pourra plus me toucher !

— Ah oui ? Un jour ou l’autre, tu te retrouveras face à elle... Aux douches ou ailleurs ! Et là, si je l’ai pas butée avant, c’est elle qui te massacrera !

— Ce n’est pas grave... Je ne manquerai à personne, de toute façon.

— Si ! S’emporta Marianne. Tu me manqueras, à moi ! Et à ton fils, aussi ! Et à ta sœur ! Je ne veux plus que tu dises ce genre de conneries !

— Calme-toi ! supplia encore Emmanuelle. Il faut que tu évites de bouger...

Marianne ferma les yeux. Elle se sentait coupable de sa future liberté. Parce qu’elle abandonnerait Emmanuelle ici. Et VM, aussi. Et toutes les autres. Parce qu’elle ne pouvait pas les emmener avec elle.

Mais merde, Marianne ! Qu’est-ce qui te prend ? T’es cinglée, ou quoi ? Qu’est-ce que tu en as à foutre des autres ? C’est ta peau qui compte !

— Où as-tu appris à te battre comme ça ? demanda brusquement Emmanuelle. En prison ?

— Non. J’ai fait des arts martiaux. Du karaté, surtout. C’est un toubib, un ami de mes vieux, qui a pensé que ce serait bon pour moi... Paraît que j’étais une teigne, que j’étais violente, hyper nerveuse... Il a dit que ça me défoulerait, que ça me calmerait. Alors quand j’avais sept ans, mes grands-parents m’ont inscrite dans un dojo... C’est là que j’ai appris.

— C’est très impressionnant ! commenta le Fantôme. Quand je t’ai vue frapper, ce matin...

— Ce matin ? ! Tu veux rire ! J’me suis fait allumer comme jamais ! L’Hyène a pas de technique mais c’est un bulldozer ! Elle cogne sacrément fort !

— C’est drôle, reprit Emmanuelle en souriant. T’as pas l’air, comme ça... En te voyant, jamais on penserait que...

— C’est pas une question de muscles ! Mais de technique. Ça s’apprend, c’est tout. Savoir utiliser sa force et celle de l’adversaire... Le corps a ses faiblesses. Il suffit de les exploiter.

— Mais toi, t’étais douée, n’est-ce pas ?

— Ouais... J’ai appris plus vite que les autres.

Marianne revit les tatamis, les arbitres, les adversaires. Les spectateurs. Les podiums. Le dojo d’entraînement, le prof dont elle était secrètement amoureuse...

— C’est vrai que... ? reprit soudain Emmanuelle. Que je te manquerais si...

Marianne hésita à répondre.

— Si je te l’ai dit, c’est que ça doit être vrai...

— C’est pas une raison pour affronter à nouveau Giovanna.

— je ne sais faire que ça... Tuer. C’est ce que je fais le mieux... La seule chose que j’arrive à réussir !

— Non. M’aider, c’est ce que tu as fait de mieux, aujourd’hui. Souffrir pour moi. Rester forte et libre, c’est ce que tu fais de mieux. Je t’admire tellement, Marianne... J’aurais tellement voulu être comme toi...

Ça, c’était la première fois qu’on le lui disait. Ressembler à Marianne, jeune criminelle, enfermée à vie pour des meurtres odieux ! Comment pouvait-on avoir envie de ressembler à ça ? À cette fille éprise de violence et mariée au désespoir ? À ce désert d’amour ? À cette ombre au passé infernal et à l’avenir inexistant ?

— Moi, j’aurais aimé avoir une mère telle que toi, avoua alors Marianne. Une mère qui m’aurait aimée assez fort pour me tuer plutôt que m’abandonner... 

*** 

Cellule 119 – 23 h 00 

Le Fantôme dormait depuis longtemps, digérant sa mixture de tranquillisants et de somnifères. Marianne, allongée juste en dessous, fumait une cigarette dans la pénombre. La Marquise avait fait sa première ronde : lumière allumée pendant au moins cinq minutes, trousseau de clefs tapé contre la porte. Mais elle n’avait même pas réussi à réveiller Emmanuelle.

Marianne avait fini par lui envoyer un signe indélicat avec le doigt.

Elle examina son dernier paquet, celui offert par le flic. Vide. Daniel viendrait-il ce soir ? Et où se réfugieraient-ils pour procéder à l’échange ? Certes, Emmanuelle avait le sommeil lourd, mais de là à faire ça dans la cellule... Et avec la Marquise qui devait les surveiller comme le lait sur le feu, le chef aurait peut-être des petits problèmes pour assurer.

Elle interrogea son fidèle réveil à la lueur du néon du lavabo. Emmanuelle ne voulait pas s’endormir dans le noir, elle avait trop la frousse. Elle commençait à peine sa détention... Dans quelques mois, elle n’aurait plus peur de rien. Ou elle aurait peur de son ombre. À condition de tenir jusque-là...

Marianne se leva et faillit tomber tant la douleur lui souleva le cœur. En tout cas, sûr qu’elle ne pourrait pas se mettre à genoux ce soir ! Cette idée saugrenue lui arracha un sourire tandis qu’elle claudiquait jusqu’aux toilettes. Pour une fois, elle fut presque contente de vivre dans un cagibi plutôt que dans un deux cents mètres carrés ! Elle ne portait qu’une chemise un peu longue, ne supportant même plus un pantalon. Sa jambe avait tellement enflé qu’elle passait difficilement dans le jean.

Elle s’aspergea le visage. Chaleur étouffante, ce soir. Elle but quelques gorgées, mit un coup de peigne dans sa chevelure rebelle. Aussi noire que les plumes d’un corbeau. Elle évita le miroir. Défaite cuisante, aujourd’hui. La pire de toutes, peut-être. Mais, bientôt, tout cela ne serait que du passé. Bientôt, tu seras libre. Elle réalisa que c’était peut-être le dernier rendez-vous nocturne avec le chef. Elle n’avait pas encore la date de son prochain parloir, mais les bons arrivaient souvent la veille, si ce n’était le jour même. Elle aurait peut-être l’heureuse surprise demain. À cette idée, son cœur palpita violemment. Bientôt, Marianne... Elle retourna s’asseoir. Attendre. Elle ne faisait que ça depuis des années. Le 23 h 16 se profila au loin.

Elle ferma les yeux pour l’accueillir, tandis que le bruit de la machine grandissait, jusqu’à déchirer la nuit. Jusqu’à l’emmener vers cette liberté qui avait désormais un goût de réalité. Un goût de futur proche. Bientôt, elle serait dans le train. Elle avait toujours pris la fuite par le train. Son plus sûr refuge. Le meilleur des alliés.

Cliquetis de trousseau derrière la porte. Une ombre immense se faufila dans la cellule, Marianne boitilla lentement vers elle. Daniel déposa quelque chose dans le premier casier, lui fit un signe de la tête.

Ils s’exilèrent dans le couloir, éclairé seulement par les veilleuses de secours. Marianne s’appuya contre la barrière de la coursive.

— Je t’ai mis la cartouche et les doses, chuchota le chef.

— Merci... Où on va ?

— Nulle part. Tu retournes te coucher.

Peu pressée de réintégrer son placard, elle fronça les sourcils.

— Tu as rempli ta part du contrat, je veux remplir la mienne ! indiqua-t-elle tout bas.

Elle devina qu’il souriait.

— Arrête de parler comme une femme d’affaires ! Ce soir, je ne te demande rien... Tu tiens même pas debout !

— Rien à foutre. Hors de question que ce soit cadeau.

— Et alors ? dit-il en soupirant. Qu’est-ce que je fais... ? Je reprends mes clopes, c’est ça ?

— Non. Tu les laisses là où elles sont et tu me dis où on peut aller.

— OK, suis-moi. Si t’arrives à marcher...

— Avance, t’inquiète pas pour moi.

Il la prit par le bras et ils s’aventurèrent dans l’obscurité. Ils passèrent discrètement devant le bureau des surveillantes.

— Elle dort, l’autre cinglée ? S’inquiéta Marianne.

— Ouais. J’ai vérifié avant de venir... Chut !

Ils continuèrent leur chemin, dépassèrent les escaliers qui descendaient aux oubliettes. Daniel la tenait toujours.

— T’as peur que je tombe, ou quoi ? Ou t’as peur que je me sauve, peut-être ! Où on va ?

— Tu vas la fermer, oui ou non ? ! Qu’est-ce que t’es chiante !

— Ouais, mais tu m’aimes bien, pas vrai ?

Il ne répondit pas, ouvrit une grille. Marianne ne s’était jamais rendue dans ce coin de l’étage. Ils arrivèrent enfin devant une porte dont le chef mit un moment à trouver la clef. Une fois entrés, il referma discrètement. Il faisait sombre mais Marianne devina un endroit assez vaste. Daniel tâtonna quelques instants, s’embroncha dans quelque chose et tomba. Il râla un peu, Marianne rigola. Enfin, la lumière s’alluma. Celle d’une lampe de bureau verte. Marianne découvrit alors la bibliothèque. Un endroit où elle n’avait jamais pu mettre les pieds. Elle contempla avec un sourire béat les rayonnages de livres endormis, les tables en bois.

— Ouah !

— Je savais que ça te plairait, ma belle !

Marianne laissa sa main glisser sur les bouquins. Pas assez de clarté pour discerner les titres. Mais peu importait. Contact si agréable, odeur si envoûtante. Elle s’attarda sur un livre à la reliure verte. Elle s’approcha de la lampe. Daniel la regardait, tout en fumant sa cigarette. Elle caressait le roman comme un objet précieux. Fragile.

— C’est quoi, ce bouquin ? demanda-t-il.

— C’est... Un souvenir...

— L’Église Verte, Hervé Bazin... Tu l’as lu ?

— Au moins dix fois... Il me rappelle des choses... Il me rappelle quelqu’un.

— Ton petit ami ?

— Non. Une fille dans un train... Une fille que j’aurais dû aider... C’était bien avant que je me fasse arrêter par les flics... Mais finalement, j’ai fini par l’aider... de longues années après.

— Je ne comprends rien ! reconnut Daniel.

— C’est pas grave !

Elle posa l’ouvrage sur la table en chêne, un peu gênée. Attendant les ordres. Il la prit dans ses bras pour lui faire comprendre qu’il ne serait pas égoïste, ce soir. Elle lui sourit, rassurée. Passa ses bras autour de sa taille, l’embrassa. C’était peut-être la dernière fois. Elle commença à déboutonner sa chemise. C’est bien ce que tu as fait, ce matin, dit-il.

— T’es vraiment têtu, ma parole ! Je t’ai déjà expliqué...

— J’aimerais savoir ce qui s’est réellement passé dans le couloir...

Il embrassa doucement son cou, elle ferma les yeux, engourdie par un plaisir toujours plus fort. Chaque fois plus fort.

— J’ai vu un attroupement en haut de l’escalier. Je suis montée aussi vite que j’ai pu et j’ai dit à Giovanna de lâcher Emma...

Il continuait ses approches, elle avait de plus en plus de mal à parler. Elle le repoussa un peu, il parvint à maîtriser ses mains quelques instants.

— T’as pas une clope ? demanda-t-elle.

Il en alluma deux à la suite et s’assit à côté d’elle, une main posée sur sa jambe.

— Ensuite ?

— J’en ai pris plein la tronche. Elle a sauté à pieds joints sur mon genou... J’ai rien pu faire... Je serais morte si... Si VM n’était pas intervenue... Juste au moment où l’autre allait m’achever... Elle l’a décollée du sol, t’aurais vu ça ! D’une seule main ! Et puis elle l’a balancée contre le mur... Ensuite, t’es arrivé... Voilà.

— Je savais pas que VM était venue à ta rescousse...

— C’est une fille bien.

— Je sais pas si on peut dire ça !

— Pas pire que moi, en tout cas !

— Elle a tué de sang-froid une demi-douzaine de personnes...

— Elle a tué pour défendre une cause, pour défendre ses idées... On peut le lui reprocher, bien sûr... Mais elle a tué pour quelque chose... Quelque chose en quoi elle croyait. Et ce matin, c’est moi qu’elle a défendue.

— C’est vrai. Et toi, tu n’as pas hésité à risquer ta vie pour défendre Emmanuelle. Dire que tu voulais la tuer il y a seulement quelques semaines !

— Y a des moments où ça me démange encore ! Pas facile de vivre l’une sur l’autre...

— Dans les autres cellules, les filles sont trois... Alors, ne te plains pas ! N’empêche que c’est bien ce que tu as fait.

— Tu radotes, chef ! fit-elle avec un sourire embarrassé.

— C’est sans doute mon grand âge !

— T’as quel âge, au fait ?

Il frôla sa peau avec ses lèvres.

— Vingt-cinq ans.

— T’es con !

Elle se laissa aller dans ses bras, au cœur de cet endroit magique. Elle se montrait plus entreprenante que les autres soirs ; elle s’habituait à lui, à sa peau, à ses mains. Devinait ses gestes. Apprenait un art qu’elle ne connaissait pas. Il continua ses avances mais s’arrêta au moment tant attendu. Il avait saisi son visage entre ses mains. Elle fixait le bleu de ses yeux, le corps en fusion.

— Dis-le, Marianne...

— Quoi ? Qu’est-ce que tu veux que je te dise, encore ? Tu ferais mieux de la fermer et...

— Dis-moi que tu as envie de moi...

Était-il aveugle ? Sourd ? Ou privé de ses autres sens pour ne pas le voir ? Non, il voulait l’entendre avouer sa faiblesse nouvelle. Elle ouvrit les lèvres. Mais rien ne voulut sortir. Comme ce matin, lorsqu’elle avait songé implorer son adversaire.

— Dis-le-moi, Marianne...

Elle tenta de le contenter en l’embrassant mais il refusait toujours d’aller plus loin. Pourquoi était-ce si dur ? Trop intime, trop personnel. Trop enfoui au fond d’elle, comme un secret indicible. Livrer ses émotions, déshabiller son âme... Elle resserra son étreinte, pour le lui montrer, puisque les mots ne venaient pas. Mais il tenait bon. Incorruptible.

— Dis-le, Marianne...

Sa voix était presque autoritaire, contraire à ses gestes tendres qui incendiaient chaque centimètre de sa chair. Elle avait chaud, elle n’en pouvait plus. Électrifiée de la tête aux pieds, elle le repoussa brutalement. Il me gonfle avec ses fantasmes et ses questions ! La séparation lui infligea une déchirure intérieure. Gigantesque. Alors elle l’attira à nouveau contre sa peau. Avec encore plus de brutalité. Avant d’approcher sa bouche de son oreille.

Elle lui avoua, trois fois d’affilée. Finalement, ce n’était pas si difficile.

Meurtres pour rédemption
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